Alternatives économiques, No. 208 (Novembre 2002)


La chronique de Jean Sloover 

Démocratiser la démocratie?

 

Comment lire Ia crise de Ia représentation politique ? Comment interpréter I’absentéisme électoral ou le vote protestataire ? Comme un repli individualiste sur la sphère privée ou comme une exigence démocratique nourrie par I’incapacité du cadre institutionnel a traduire Ia souveraineté du peuple ? Pour Antoine Bevort (1), Ia réponse ne fait aucun doute : c’est moins l’intérêt pour Ia Cite qui s’érode que Ia confiance dans I’autorité des élus qui s’étiole.

C’est a tort, écrit-il, que I’on identifie démocratie et démocratie représentative. Celle-ci n’en est qu’une version abâtardie qui regarde les citoyens comme incompétents Iorsqu’il s’agit de délibérer, de prendre des décisions ou d’exercer des fonctions publiques. En réalité, Ia démocratie représentative a a peine entamé le processus démocratique, estime l’auteur. Elle doit d’urgence être complétée par des techniques délibératives dont certaines existent déjà. Cette démocratie participative est désormais Ia condition de l’efficacité de nos institutions.

 Un autre essayiste, Takis Fotopoulos (2) partage en partie ce diagnostic, mais récuse ses conclusions. Pour lui, l’avènement conjoint de l’économie de marché et de Ia démocratie représentative a sépare gouvernants et gouvernés. Avec Ia mondialisation néolibérale, cette rupture aboutit irréversiblement à une concentration du pouvoir dans les mains d’une élite transnationale. La période socialiste d’intervention de I’Etat n’a été qu’un moment du processus séculaire d’extension territoriale des activités marchandes concurrentielles : pour continuer a croître, le capitalisme devait, avec leur complicité, faire sauter les formes nationales de contrôle social que les Etats avaient imposées aux entreprises.

L’ombre d’Athènes

Depuis que ce programme se concrétise, le sort des peuples dépend d’une oligarchie omnipotente. D’ou la crise — économique, politique. Sociale, culturelle, idéologique. Écologique — universelle que nous subissons. Celle-ci étant née du cadre institutionnel existant, il n’est selon Fotopoulos, aucune voie de salut de la démocratie représentative si complaisante pour les nantis. Ceux qui, comme Antoine Bevort, prescrivent plus de participation pour remédier au marasme de Ia représentation se trompent : i n’y a pas d’autre alternative que l’instauration d’une démocratie générale. abolissant Ia répartition inégale du pouvoir et étendant I’espace public aux domaines économique et social.

On ne partage pas facilement ce plaidoyer au franc parfum d’utopie. Une confédération de communautés autonomes gérées sur Ie principe de Ia démocratie directe athénienne est-elIe sérieusement concevable dans le monde qui est Ie nôtre ? De plus, avec qui migrer vers une telle organisation? L’auteur reconnaît lui-même que l’économie de croissance internationalisée n’est pas massivement contestée et qu’eIle est aussi compatible avec une société duale. Il reste que Ie débat a Ia mérite de rappeler que, espace d’autodétermination, Ia politique ne peut être Ia chasse gardée de savants. Et que, pour ordonner cette gestion de Ia Cite par elle-même, Ia démocratie libérale n’est pas forcement incontournable..

Il reste que Ie débat a Ia mérite de rappeler que, espace d’autodétermination, Ia politique ne peut être Ia chasse gardée de savants. Et que, pour ordonner cette gestion de Ia Cite par elle-même, Ia démocratie libérale n’est pas forcement incontournable..

(1) Ancien responsable syndical, il enseigne a sociologie a l’université de Rouen.

(2) Vers une démocratie générale éd. du Seuil, 250 p. Econorniste et politologue Takis Fotopoulos a été professeur a l’université de Londres Nord. II dirige actuellement Ia revue Democracy and Nature.

 

 

www.inclusivedemocracy.org/fotopoulos